Chaque mois, l’Eweta se penche sur un dossier de fond et interviewe une personnalité au sujet d’une thématique qui peut toucher le secteur des Entreprises de Travail Adapté. Ce mois-ci, Florence Guiot a demandé à Sébastine Vandenhoute, Educateur spécialisé et Personne de Confiance et Romina Chantrenne, Assistante sociale de l’ETA Atelier Cambier quelle était la politique en matière d’EVRAS que l’entreprise met en oeuvre.
Avez-vous des exemples de situations EVRAS rencontrées au sein de notre ETA ?
Certaines situations problématiques EVRAS trouvent leur origine dans les relations entre membres du personnel. Il peut arriver qu’une situation de rupture soit mal vécue et que cela engendre des comportements harcelants : la personne frustrée relance régulièrement son «ex » au travail et même parfois en dehors. Elle peut également entretenir une jalousie malsaine envers d’autres ou en arriver à des comportements inacceptables.
Malheureusement, je pense que ces situations se rencontrent dans le milieu du travail en général et pas uniquement en ETA. Les nombreux scandales de la vie politique, sportive, du Show bizz ou des réseaux sociaux liés à la sexualité nous montrent régulièrement qu’il s’agit de faits de société.
Ce qui se passe dans une ETA est aussi représentatif de ce qui se passe dans cette société !
Les particularités des situations EVRAS rencontrées en ETA sont étroitement liées au handicap : le retard ou le handicap mental de certaines personnes ne leur donne pas toujours accès aux codes de la société en termes de relations ou même de sexualité. Elles doivent parfois gérer un système hormonal différent qui leur donne une libido très prononcée voir déviante.
Certaines d’entre elles ne font face à cette problématique qu’une fois entrées dans le monde du travail et, malgré notre intervention, la prise en charge psychologique et/ou médicale peut prendre du temps avant que les effets puissent se ressentir.
A la différence du monde du travail « classique », l’ETA à la chance d’avoir en son sein des travailleurs sociaux armés de leurs compétences pour repérer et agir sur ce type de particularités. En cas de besoin, ils peuvent faire intervenir leur réseau professionnel.
- Quels types d’actions/ partenariats mettez-vous en place concernant l’EVRAS. Présenter en quelques lignes un projet mené.
Bien entendu, nous agissons différemment en fonction des situations rencontrées.
Par exemple, nous avons une convention qui pose les bases d’un partenariat privilégié avec un service d’accompagnement pour personnes handicapées. Cela permet d’avoir un relai extérieur à l’Entreprise pour assurer une éventuelle prise en charge pluridisciplinaire et surtout s’assurer du suivi médical et psychologique si nécessaire.
Les échanges avec des travailleurs sociaux issus d’autres ETA lors de groupes de travail organisés par l’Eweta ayant pour thème l’EVRAS sont également riches. Ils permettent de se rendre compte de situations parfois très semblables et d‘ouvrir le champ des possibilités par rapport à celles-ci.
En interne, nous privilégions au maximum le dialogue et l’écoute afin de « déminer » des situations problématiques avant qu’elles ne prennent trop d’ampleur.
Maintenir un climat familial, prendre le temps de dialoguer avec les membres de notre personnel et instaurer une relation de confiance permet également d’aborder certains sujets sans tabous. C’est une base essentielle pour aborder notre travail social et pouvoir, à partir de ce prélèvement d’informations, construire des projets qui tiennent la route.
C’est ainsi que nous nous sommes rendus compte que de nombreuses femmes travaillant en ETA avaient subi des violences ou du harcèlement. Même s’il s’agissait principalement de situations rencontrées dans leur vie privée, nous avons mis en place, en partenariat avec l’Eweta et l’asbl Garance, un stage d’autodéfense pour femmes en situation de handicap.
- Pourquoi le faites-vous ?
En tant qu’éducateur ou assistant social en ETA, je pense que nous devons pouvoir connaitre la réalité quotidienne des personnes que nous accompagnons afin de pouvoir agir au maximum en amont des situations problématiques. Cela permet d’éviter que certains comportements puissent avoir des répercussions sur le bien-être des travailleurs.
Cela fait également partie d’un processus d’autonomisation important à nos yeux. Pour les femmes qui appréhendaient le fait de prendre les transports en commun, ce stage leur a permis de se sentir plus confiantes.
- Quels types de retours avez-vous sur ces actions ?
Les retours que nous avons sont généralement très positifs ! Dans le cadre du stage d’autodéfense pour femmes, un point particulier a été mis en avant : le fait que ce stage ne soit réservé qu’aux femmes ! Cela a permis aux participantes de prendre part aux discussions sans s’autocensurer et d’exécuter les exercices avec plus de liberté. Le succès et la participation à ce stage ont d’ailleurs été au-delà de nos espérances !
Des responsables de départements viennent de plus en plus souvent nous trouver pour les aider à solutionner des problèmes relationnels. C’est un changement important dans les mentalités car ce n’était pas toujours le cas auparavant. Cela permet parfois, à travers un œil « Macro » au niveau de l’entreprise, de mettre à jour les problèmes structurels qui induisent ces malentendus et d’agir sur ceux-ci.
Cela permet également de pérenniser le résultat de ces actions.
- Quelles est la plus-value pour les travailleurs, l’ETA ?
À mon sens, c’est clairement du « win-win » : en évitant le temps passé à gérer les conflits et les baisses de production qui peuvent en découler, en évitant de potentielles absences liées à un mal être, nous permettons à l’ETA de rester productive mais aussi de garder un esprit d’équipe. Cela permet au travailleur d’effectuer ses tâches dans un climat harmonieux tout en étant serein. Tout le monde y gagne !
- A quoi devez-vous être attentif quand vous mettez en place ce genre d’action ?
Je pense que le plus difficile est de composer avec les impératifs liés à la production. Pour cela il me semble nécessaire d’expliquer la plus-value de ce type d’action aux différents acteurs de l’ETA et de s’assurer de l’adhésion à tous les étages ! Nous pouvons heureusement compter sur une direction qui nous fait confiance. La communication avec les responsables des départements permet de les sensibiliser à l’utilité de consacrer du temps à des sujets à priori bien loin des questions liées à la production.
C’est ce qui fait la force et la difficulté des ETA : pouvoir aborder des questions sociales dans une structure pourtant vouée à la production.
- Un conseil à partager ?
Difficile pour moi de donner un conseil. La réalité de chaque ETA peut parfois être très différente : la structure, le type d’activité, le nombre de travailleurs… Nous avons bien entendu des défis communs et un outil formidable que sont nos Entreprises, même si elles font parfois office d’ovni dans l’environnement professionnel. Nous sommes des précurseurs en termes d’intégration et d’inclusion puisqu’on commence seulement à envisager leur mise en place dans le monde du travail classique. C’est une opportunité qu’il faut saisir au quotidien pour avancer et innover. Comme expliqué plus haut, les projets éducatifs et sociaux menés au sein de l’ETA peuvent avoir des conséquences positives à différents étages de l’entreprise. Il est donc important de communiquer à ce sujet afin que chacun puisse y adhérer à son niveau. Plus que jamais une ETA c’est un travail d’équipe quotidien !
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