Chaque mois, la Fédération Wallonne des Entreprises de Travail Adapté, se penche sur un dossier de fond ou interview une personnalité au sujet du secteur des Entreprises de Travail Adapté. Ce mois-ci, Gaëtane Convent, directrice de l’Eweta a eu l’honneur d’interroger Mr Thomas Dermine au sujet du plan de relance de la Belgique ainsi que sur sa vision de notre secteur. Découvrez ci-dessous, des extraits de l’interview retranscrite ainsi que quelques extraits vidéo.
Politologue et économiste de formation, Thomas Dermine, ancien directeur de l’IEV croit en l’importance d’avoir les deux visions différentes comme bagage : l’économiste et le politologue qui confrontent leurs idées. Les questions de redéploiement économique, notamment par le biais de l’économie sociale, l’on intéressé dès l’université.
Tintinophile, nous nous sommes permis d’offrir à ce papa un jeu de memory avec Pr. Tournesol tanguant en clin d’œil au modèle d’équilibriste des ETA.
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La vision politique de Thomas Dermine ?
« Une économie forte, c’est ce qui permet de créer la prospérité et de la valeur qui peut être redistribuée de façon à faire progresser la société socialement que ce soit via l’économie sociale, 100% privée ou l’économie liée aux pouvoirs publics ».
C’est fort de ces convictions politiques que Thomas Dermine a entamé ses réflexions sur le plan de relance fédéral de la Belgique suite à la crise que nous connaissons aujourd’hui.
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Pouvez-vous nous expliquer le contexte de ce plan de relance ?
« Qu’est ce qu’un plan de relance ? C’est l’idée de se dire que quand on est dans une phase économique de dépression, de sortie de crise comme on l’est et comme on le sera dans les trimestres prochains, la puissance publique peut être un acteur économique. Un acteur économique fort qui réinjecte de la demande dans l’économie et donc a un effet d’entrainement sur la demande privée, la confiance dans l’investissement etc. Cet effet de relance est joué par le pouvoir public de tout le temps, et pas spécifiquement en période de sortie de crise. (…) Malheureusement, cela fait 20 ans que le public a sous-investi mais ici, il se passe quelque chose avec la crise corona. Tout le monde se rend compte de la valeur de l’investissement. (…)
Le paradigme est en train de changer. Le Gouvernement Michel avait par exemple, lui aussi réalisé un plan d’investissement à son époque mais ce plan n’avait pas être réalisé à cause du blocage des investissements publics de la Commission Européenne.
Aujourd’hui moins de deux ans après, les mêmes personnes de la Commission donnent des moyens aux Etats membres pour investir. Avec comme objectif premier de relancer l’économie en sortie de crise mais également de réinvestir pour rétablir certains fondamentaux de l’économie qui répondent à des enjeux importants.
Le premier axe fondamental est l’infrastructure énergétique afin d’atteindre nos objectifs en matière de climat. Viennent ensuite tout ce qui a trait à l’économie du digital, sur le marché de l’emploi notamment. On sait également qu’il y a des défis en matière d’inclusion, de productivité, … »
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Comment ce plan s’est-il construit ?
« Pour faire notre plan, nous avons commencé à travailler avec toutes les régions belges en présentant les quelques thèmes à travailler et en sélectionnant les projets qui ont le plus d’impact par rapport aux défis que nous avions établis.
Il y a par exemple des projets de logements sociaux, qui à court terme permettent de mettre des personnes à l’emploi avec tout l’enjeu de cadrer les marchés publics avec des clauses sociales et environnementales pour que cela ait un effet maximal sur notre pays. Faire construire ces logements par des multinationales employant des travailleurs détachés et des matériaux qui viennent de Chine, n’a bien évidemment pas du tout le même impact que si c’est une PME de Couillet, de Marche-en-Famenne ou de Alost qui le fait avec des travailleurs en insertion socio-professionnelle et des matériaux qui pris à proximité. (…)
Ce qui était intéressant et qui rendait l’exercice compliqué, c’est que nous avons dû tous travailler ensemble avec les Régions et les Communauté. L’Europe nous a bien dit qu’ils ne souhaitaient pas «un truc à la belge ». Dès lors, nous avons veillé à avoir une approche intégrée et afin de faire en sorte que « les couches de lasagne » se parlent pour répondre à ces enjeux.»
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Concrètement, cet argent prêté par l’Union Européenne pour ce plan, faudra-t-il le rembourser ?
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Vous dites régulièrement dans vos interviews, qu’il faut aller fort et vite, pourquoi cette double injonction ?
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Comment ce plan va-t-il s’opérationnaliser ?
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Comment allez-vous vous assurer que les emplois créés proviennent bien d’entreprises locales ?
« Il y a une espèce de prise de conscience par rapport au dogme de « concurrence parfaite ». Selon celui-ci, n’importait que le critère du prix sans faire attention par exemple à l’origine des travailleurs ou des matériaux. Cela ne convient plus, on est arrivé au bout du modèle.
Si l’Union Européenne va jusqu’au bout de sa démarche actuelle, on va aller vers une réinternationalisation ou en tout cas un rapprochement de certaines filières de production. Par exemple, pour le secteur de la construction, nous pensons qu’il y aura moins de travailleurs détachés de certains pays (qui devront eux-mêmes mettre ne place leur plan de relance), et cette baisse de l’offre, nous la voyons comme une opportunité pour nos entreprises de construction. Les ETA par exemple peuvent se positionner sur ces marchés-là.
Ce changement de dogme de la « concurrence parfaite », on commence à le voir à la Commission Européenne, même si ça reste un combat politique de tous les jours. C’est un enjeux essentiel pour la souveraineté européenne et d’un point de vue environnemental. (…) Par ailleurs, on a fait en sorte d’avoir une approche hyper progressiste par rapport aux inégalités, on a par exemple mesuré l’impact de nos différents projets vis-à-vis des égalités de genre et on s’est assuré qu’on a un maximum de projets qui va réduire les inégalités de genre. L’analyse du Bureau du plan du plan de relance a d’ailleurs démontré qu’il y allait avoir de la création d’emploi notamment pour des personnes peu qualifiées. »
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Comment les ETA peuvent-elles s’inscrire dans ce plan de relance ?
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De manière générale, quelle est votre vision du secteur des entreprises de travail adapté en Belgique ?
« J’ai déjà visité l’ETA ENTRA et c’est très impressionnant toutes les activités qu’ils développent : blanchisserie, assemblage, … Et j’ai également déjà travaillé avec Atelier Cambier ! Je trouve la mission des ETA est vraiment belle.
Ce qui est très particulier, ce qui fait la beauté de votre secteur et ce qui doit être la difficulté du travail de directeur, c’est de toujours trouver le bon point d’équilibre entre quelles sont les activités à perte ou qui ne sont pas spécialement productive et finalement trouver le bon optimum entre trouver la valeur ajoutée sociale, la valeur ajoutée commerciale dans un modèle concurrentiel parfois instable. »
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La plupart des pays européens imposent des quotas d’emploi en situation de handicap aux entreprises privées (dont nos voisins directs : France, Allemagne et Luxembourg). Sans surprise, ces pays comptent un taux d’emploi des personnes en situation de handicap plus élevé que la moyenne européenne. Ces législations permettent en général de comptabiliser dans ce quota le travail confié aux entreprises de travail adapté. Que pensez-vous de ce type de quota ?
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Un mot pour conclure ?
« On sort d’une crise qui est compliquée d’un point de vue sanitaire avec toutes les conséquences socio-économique que l’on connait. Mais c’est toujours dans les chocs comme cela que l’on remet en cause certains fondamentaux et où on se rend compte de la valeurs de certaines choses comme la solidarité, l’investissement public, les soins de santé. Le fait d’être ensemble permet de nous protéger de certains chocs de l’épidémie. Cette crise du coronavirus, c’est tout l’enjeu de se dire : c’est un moment de rupture en matière d’investissement public, si on veut se protéger face à d’autres épidémies, face aux enjeux climatiques, on va devoir réinvestir massivement. C’est ce que l’on fait avec le plan de relance aujourd’hui avec les premiers milliards de l’Union européenne avec ceux ensuite que l’on mettra sur la table, et dans ce contexte-là, il y aura besoin de tous les talents, des gens faiblement qualifiés ou en situation de handicap aux personnes qui cumulent plusieurs doctorats. On veut écrire une histoire inclusive sur le pays qui se remet en marche. »
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