Chaque mois, l’Eweta se penche sur un dossier de fond ou interview une personnalité au sujet du secteur des Entreprises de Travail Adapté.
Pour cette première édition, retrouvez une interview de Mme Karine Lalieux, Ministre des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée des Personnes handicapées, de la Lutte contre la pauvreté et de Beliris.
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Quelle est votre vision des entreprises de travail adapté en Belgique ?
Aujourd’hui, l’importance de travailler pour garantir l’«émancipation » des personnes handicapées et leur « participation » pleine et entière à notre société ne fait plus débat. Les Entreprises de Travail Adapté offrent, à côté du marché du travail ordinaire, à des personnes extraordinaires un cadre de travail adapté à leur handicap, et ce dans un cadre bienveillant.
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Comment apportent-elles une valeur ajoutée ?
Leur valeur ajoutée des ETA est multiple.
Elle l’est en premier lieu pour les travailleurs.euses bien sûr. Les ETA leur permettent d’être impliquées dans la vie sociétale et de participer à l’économie de notre pays. Elles y développement également des contacts sociaux, essentiels pour leur épanouissement personnel.
Le fait de devoir se réveiller le matin, de prendre les transports pour se rendre au travail, … sont des actions que tout à chacun entreprend : les travailleurs.euses des ETA vivent leur vie comme tout le monde.
Le travail des ETA est par ailleurs une valeur ajoutée pour leurs client.e.s. Collaborer avec des entreprises de travail adapté, cela donne bien sûr une image d’ouverture d’esprit et d’inclusion des client.e.s.
Mais c’est bien plus que cela : les ETA sont des entreprises pour la plupart innovatrices, qui garantissent des produits d’une qualité excellente. Lors d’une récente visite à l’ETA Nekto, il m’a bien été précisé que les entreprises de travail adapté se doivent d’être particulièrement attentives à la qualité de leurs produits finis car la concurrence ne fait pas de différence avec les autres entreprises et l’exigence du client reste la même.
Enfin, les ETA apportent une valeur ajoutée à la société.
L’accord du gouvernement a clairement pour ambition d’accroître l’emploi des personnes handicapées. On s’aperçoit que dans le secteur public et dans le privé, le faible taux d’emploi de personnes en situation de handicap peut s’expliquer par des aménagements raisonnables peu exploités. Ce problème n’est pas rencontré dans les ETA car le travail proposé a été réfléchi par et pour ces travailleurs.euses. Ainsi, les ETA sont indispensables pour garantir un accès minimum au marché du travail pour ces travailleurs.euses en situation de handicap.
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Quel rôle peuvent jouer les entreprises de travail adapté en tant que partenaires locaux dans la reprise de notre économie ?
Il est vrai qu’avec la crise sanitaire, de nombreux commerces et entreprises ont été contraints de fermer. Cela a créé inévitablement une perte de leurs bénéfices. De nombreuses ETA ont dû faire face à ces difficultés et à une baisse des commandes.
Cependant, il a été surprenant de voir la réactivé de certaines ETA. Ainsi, nous pouvons voir des infrastructures qui proposent désormais la fabrication de masques buccaux lavables avec protection transparente, le lancement de gel nettoyant,… Ces entreprises sont proactives et cherchent constamment à innover et proposer de nouvelles activités.
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Envisagez-vous des actions concrètes pour accompagner les entreprises de travail adapté en ces temps difficiles ?
La crise sanitaire n’a épargné personne et de nombreux événements et activités ont dû être annulés. Mais je dois reconnaître que mes leviers d’action sont très limités en tant que ministre fédérale des Personnes handicapées. Il ne faut pas oublier que les ETA sont une compétence régionale. La ministre Christie Morreale (pour la Wallonie) ainsi que le ministre Vervoort (pour Bruxelles) seront dès lors plus aptes à entreprendre des actions particulières à cet égard .
Toutefois, à mon niveau, une mesure importante a déjà été prise : l’exonération du chômage temporaire des travailleurs en entreprise adapté dans le cadre du calcul des allocations destinées aux personnes handicapées à savoir l’ARR et l’AI.
Je suis également parfaitement consciente que les personnes en situation de handicap constituent un public plus vulnérable et cela a été renforcé par la crise du Covid que nous traversons.
En plus des mesures spécifiques comme la prime de 50€ octroyée aux bénéficiaires de l’ARR et de l’AI, j’ai également déjà travaillé à la revalorisation des allocations leur étant destinées. L’allocation de remplacement de revenu sera ainsi augmentée de plus de 22% d’ici 2024 et ce afin d’atteindre légitimement le seuil de pauvreté. De même, et c’est une grande avancée, le prix de l’amour est enfin aboli. Je travaille par ailleurs actuellement à une immunisation plus importante des revenus du travail que j’entends coupler à l’immunisation des revenus de remplacement.
Mon souhait est d’encourager le travail des personnes handicapées en augmentant l’exonération des revenus professionnels tout en reconnaissant la vulnérabilité de ceux qui ne peuvent plus ou ne pourront jamais travailler. Chacun et chacune compte et nous devons soutenir tout le monde.
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Selon diverses études, dont celles de l’OCDE, de nombreux emplois occupés par des personnes très peu qualifiées en Belgique vont disparaître. En d’autres mots, cette menace pèse sur la plupart des emplois occupés actuellement par nos travailleurs qui sont en situation de handicap cognitif. La recherche de nouvelles activités dans notre secteur est donc un défi crucial que nous devrons relever pour assurer la pérennité des emplois du public-cible. Quel soutien le niveau fédéral peut-il offrir à notre secteur à cet égard (fonds de transformation, plans de relance, etc.)?
Lors d’une visite de terrain dans l’ETA Nekto, le directeur m’a effectivement expliqué devoir sans cesse se renouveler afin de pérenniser les emplois.
Les aides fournies pour surmonter la crise Covid-19 ont été indispensables pour maintenir le travail. Mais les répercussions de cette crise se feront ressentir encore de nombreux mois et il sera donc nécessaire de continuer à soutenir ces entreprises.
Comme évoqué auparavant, les ETA sont une compétence régionale et je ne peux dès lors pas prendre une décision sans l’implication des diverses entités fédérées.
Depuis la 6ème réforme de l’Etat et le partage des compétences dans les différents niveaux de pouvoirs, il s’avère parfois difficile d’avoir une politique globale et complète.
Afin de faciliter la communication et l’application des mesures, je présenterai bientôt un plan d’actions fédéral en faveur des personnes handicapées. Dans celui-ci, une instance de concertation réunissant les différents niveaux de pouvoirs compétents en matière de handicap sera proposée. Il est important que les politiques se mettent au service des personnes handicapées et que ces dernières ne souffrent pas du morcellement des compétences qui font aujourd’hui que le parcours d’une personne avec un handicap, de sa naissance jusqu’à sa pension, se transforme en un vrai Labyrinthe Kafkaien.
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L’administration fédérale a pour obligation d’engager 3% de personnes en situation de handicap. Cette obligation n’a jamais été remplie. Face à cet échec et afin d’agir indirectement sur l’engagement de personnes en situation de handicap, le législateur (Loi du 3 septembre 2017) a permis de compenser 1/3 de cette obligation via des marchés publics confiés aux ETA. Comment comptez-vous favoriser l’application des quotas dans l’administration publique fédérale, ou du moins dans les services publics dont vous avez la tutelle ?
Les personnes porteuses d’un handicap qui souhaitent et peuvent travailler doivent être soutenues. Le travail lorsqu’il est adapté à la personne est un outil d’émancipation et d’épanouissement non négligeable. A ce jour, les obstacles rencontrés sont encore trop nombreux et nos administrations ne sont malheureusement pas du tout exemplaires en la matière.
Souvent mentionnée lors de questionnaires, le manque d’accessibilité peut être une cause empêchant l’emploi de personnes en situation d’handicap. Que ce soit l’accessibilité de l’entreprise, en son sein ou celle des transports publics pour y accéder. Des aménagements sont prévus dans le cadre du plan 2020-2025 de la SNCB, qui vise d’adaptabilité de 72 gares d’ici 2025.
Une autre façon de combattre ce faible taux d’emploi serait un meilleur contrôle de l’obligation d’aménagements raisonnables pour les personnes en situation de handicap et une meilleure sensibilisation de nos services publics à l’engagement de personnes handicapées.
Cette sous-représentation d’employés en situation d’handicap est la conséquence d’une intériorisation de stéréotypes. Il est indispensable de casser cette image de personne handicapée assistée. Cela nécessitera notamment une concertation avec le ministre de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne afin de développer des campagnes de sensibilisation.
Dans cette volonté de conscientiser le gouvernement aux difficultés rencontrées par les personnes handicapées de trouver un emploi, un contact sera pris avec le Conseil National du Travail. Une partie des personnes handicapées a les capacités et le droit de contribuer au fonctionnement de notre économie. Ce sera un long chemin mais grâce à un travail en collaboration avec les différentes parties prenantes, ça sera possible.
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Actuellement, aucun incitant et aucune imposition n’encourage les entreprises privées à travailler avec des entreprises de travail adapté. La plupart des pays européens imposent des quotas aux entreprises privées (dont nos voisins directs : France, Allemagne et Luxembourg). Sans surprise, ces pays comptent un taux d’emploi des personnes en situation de handicap plus élevé que la moyenne européenne. Ces législations permettent en général de comptabiliser dans ce quota le travail confié aux entreprises de travail adapté. Que pensez-vous d’imposer aux entreprises privées un quota d’engagement direct (ou indirect via du travail confié aux entreprises de travail adapté) à l’instar de nos voisins européens ? Comment stimuler les entreprises privées à travailler avec nos structures qui assument cette responsabilité sociétale d’inclusion socio-professionnelle de personnes en situation de handicap ?
Cette idée est intéressante car instaurer un pourcentage présente l’avantage d’être quantifiable et donc facilement identifiable, évaluable et comparable. Mais on le voit avec la fonction publique, le pourcentage de quota n’est pas la panacée.
Il faut donc plus et pour cela, je compte bien mobiliser mes collègues en charge d’un côté de la Fonction publique et de l’autre du Travail afin que le gouvernement progresse en la matière.
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