Chaque mois, la Fédération Wallonne des Entreprises de Travail Adapté, se penche sur un dossier de fond ou interview une personnalité au sujet du secteur des Entreprises de Travail Adapté. Ce mois-ci, Gaëtane Convent, directrice de l’Eweta a eu l’honneur d’interroger notre Ministre de tutelle, Christie Morreale.
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Déjà un an et demi que vous êtes Vice-présidente du gouvernement wallon et ministre de l’Emploi, de l’Action sociale, de la Santé et de l’Égalité des Chances, qu’est-ce qui vous a marqué le plus dans cette nouvelle aventure humaine ?
Comment ne pas évoquer cette crise sanitaire qui mobilise énormément d’énergie ? Comment ne pas évoquer les répercussions directes et indirectes du COVID-19 sur tout un chacun et sur notre système socio-économique et singulièrement sur certaines ETA ? Qui aurait cru au printemps 2020, en pleine première vague, que nous pourrions commencer la vaccination en décembre ? Nous mesurons aujourd’hui les bénéfices de cette vaccination. D’ici la fin de l’été, la vaccination aura pu être proposée à l’ensemble de la population. Ceci permettra d’entrevoir enfin un retour à des activités dites normales. A l’évidence, nous devrons continuer à vivre avec le CODID-19 et notre société devra s’organiser en conséquence. Cela étant, ceci ne doit pas occulter d’importants chantiers que j’ai pu mener à bien. Je pense notamment à la réforme des aides à l’emploi (APE) et bien-sûr la réforme du système de financement des ETA, deux importantes réformes en voie de finalisation.
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Par votre position, vous avez une vue d’ensemble sur les secteurs du handicap en RW (accueil, hébergement, emploi, soins, formation…), selon vous les différents dispositifs sont-ils bien articulés les uns par rapport aux autres ? Il a-t-il des domaines, des sujets qui mériterait une progression, de meilleures synergies ? Si oui lesquels et comment ?
Le regroupement des compétences de l’emploi, de la formation, de l’action sociale, de la santé et de l’égalité des chances est une véritable opportunité de renforcement des transversalités entre politiques. La création de l’AVIQ au 1er janvier 2016 avait déjà cette ambition, au travers de ses 3 branches, de favoriser la transversalité. L’AVIQ aura été et est l’acteur central de cette crise sanitaire. Ainsi que vous le savez, la Commission spéciale COVID-19 mise en place au Parlement wallon a formulé une série de recommandations ; parmi les recommandations formulées, figure l’évaluation du décret portant création de l’AVIQ. Je gage que la mise en œuvre de ces recommandations contribueront à encore améliorer la structure de l’AVIQ, son organisation et la transversalité. Le mot « crise » en Chinois est représenté par deux idéogrammes ; l’un signifie « danger » et l’autre « opportunité ». Une crise offre clairement l’opportunité de changer et de s’ouvrir à autre chose. C’est en soi une prise de conscience qui permet de vivre autrement, tant au niveau individuel que collectif.
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Même question, mais avec les autres Régions et le fédéral ?
J’ai sollicité ma collègue, la Ministre Karine Lalieux, dans la perspective de relancer la Conférence interministérielle (CIM) « Handicap » qui ne s’est plus réunie depuis 2014. Il est en effet nécessaire que les Ministres en charge de la politique des personnes en situation de handicap puissent échanger et coordonner leurs politiques.
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Vous préférez que l’on parle de personnes en situation de handicap, de personnes porteuses d’un handicap, ou de personnes handicapées ? Et pourquoi ?
Le terme « personne en situation de handicap » est de plus en plus utilisé. Je le préfère de loin à « personne handicapée ». En effet, la première formulation met l’emphase sur la « situation » qui souvent, par défaut ou insuffisance d’aménagements raisonnables, créée le handicap alors que la seconde formulation, plus stigmatisante, met l’emphase sur la personne et son handicap sans prendre en considération son environnement. Je gage que ce terme évoluera encore. Cette évolution est révélatrice du changement de regard et de mentalités sur le handicap et plus fondamentalement d’une plus grande prise en compte du handicap dans l’ensemble des politiques. Certes, nous ne sommes pas au bout du chemin …
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Vous préférez que l’on parle d’inclusion ou d’intégration ? Et pourquoi ?
A nouveau cette évolution du terme « intégration » est révélatrice d’un changement des mentalités et surtout des politiques menées. De plus en plus, le concept d’inclusion vient se substituer à celui d’intégration. L’intégration vise en quelque sorte « l’adaptation de l’individu » à un groupe ou plus largement à la société alors que l’inclusion consacre le plein droit de toutes les personnes à vivre dans la société, dans le respect de l’égalité des chances et le respect de la différence. Tout un chacun doit trouver sa place dans la société, une société où la diversité est la norme.
A cet égard, je me réjouis particulièrement de la toute récente modification de la Constitution par l’ajout d’un article 22 ter ; cette modification, à l’initiative notamment de Monsieur le Député Philippe Courard, précise que « chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables ».
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Quelle est votre vision des entreprises de travail adapté ? Et quel futur vous souhaitez construire pour notre secteur ?
Je ne vous apprendrai pas que le futur des ETA commence par une réforme fondamentale du mécanisme de financement des ETA. Dès ma prise de fonction, j’ai souhaité mettre autour de la table les partenaires sociaux afin de construire ensemble le futur que vous évoquez. Je mesure que cette réforme est source d’incertitudes pour le secteur. Aussi ai-je prévu dès la première année de mise en œuvre une évaluation de la réglementation afin le cas échéant d’apporter les correctifs nécessaires.
Les ETA représentent un pan très important de l’économie sociale. Les ETA produisent des biens et services dans de multiples domaines d’activité. Je mesure combien il est essentiel que la finalité sociale reste au cœur de leur projet.
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Vous êtes déjà allés visiter certaines ETA durant la crise, qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant vos visites ?
Plusieurs ETA, de part leurs activités de base, se sont mobilisées durant cette crise sanitaire ; nous en revenons à la transformation d’une crise en opportunité. La visite d’une ETA que je ne citerai pas mais que le secteur reconnaitra s’est ainsi lancée dans la fabrication de surblouses, surblouses qui côtoyaient du matériel aéronautique de haute technologie … cette réactivité et cette capacité d’adaptation sont révélatrices du dynamisme du secteur.
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Selon vous, quelle facette de leur vie/ rôle des ETA mériterait d’être mis plus en avant dans leur discours ?
Le rôle social des ETA est à mon sens crucial. Je mesure combien il est complexe de le conjuguer avec les impératifs liés à une activité économique.
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Vous avez dans vos compétences l’action sociale, mais aussi l’emploi. Quelles synergies voyez-vous entre ces deux compétences ?
Je l’ai évoqué précédemment, ce regroupement de compétences est une opportunité, d’autant que j’ai également la charge de l’économie sociale. Voici plusieurs mois que nous nous focalisons sur cette réforme du financement des ETA. Une fois celle-ci derrière nous, il s’agira de renforcer les synergies entre ces secteurs ; il va de soi que j’associerai le secteur des ETA à la réflexion.
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Selon vous, les ETA ont pour mission d’offrir un emploi stable et durable ou être des acteurs d’inclusion dans d’autres entreprises ? Quelle est dès lors la politique d’emploi que vous souhaitez mener en lien avec votre réponse ?
L’un de s’oppose pas à l’autre. Evitons des positionnements tranchés. Si des opportunités d’inclusion de travailleurs dans d’autres entreprises se présentent, il s’agit de les saisir et certainement pas de le réfréner. Je sais qu’en pratique et singulièrement de par l’évolution du marché de l’emploi, nombre de travailleurs ont relativement peu d’opportunités d’accéder au marché « classique » de l’emploi. Une « perméabilité » doit subsister entre l’emploi adapté et l’emploi en général.
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Selon diverses études, dont celles de l’OCDE, de nombreux emplois occupés par des personnes très peu qualifiées en Belgique vont disparaître. En d’autres mots, cette menace pèse sur la plupart des emplois occupés actuellement par nos travailleurs qui sont en situation de handicap cognitif. La recherche de nouvelles activités dans notre secteur est donc un défi crucial que nous devrons relever pour assurer la pérennité des emplois du public cible. Quel soutien la région peut-elle offrir à notre secteur à cet égard (fonds de transformation, plans de relance, etc.)?
Je l’ai évoqué également précédemment le marché du travail a considérablement évolué et la vitesse à laquelle les technologies progressent réduit de plus en plus le nombre d’emplois « peu qualifiés ». La possibilité d’apporter un soutien régional au secteur pour relever ce défi doit être mis en perspective avec les dispositions européennes en matière d’aides d’Etat. Cette possibilité doit impérativement être examinée en tenant compte de cet impératif. L’Union européenne met régulièrement en exergue le faible taux d’emploi des travailleurs en situation de handicap mais pour l’améliorer, il est nécessaire de disposer d’un cadre réglementaire qui y concoure efficacement.
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Un dernier petit mot que vous souhaiteriez adresser à notre secteur ?
L’année écoulée a été singulièrement éprouvante pour le secteur ; certaines ETA ont pu les « décupler » leurs activités et d’autres ont dû les ralentir considérablement. Une ETA a même dû cesser définitivement ses activités. A cet égard, je relève l’élan de solidarité dont ont fait preuve l’EWETA et les Organisations syndicales pour soutenir le reclassement professionnel des travailleurs licenciés … c’est remarquable.
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