Chaque mois, l’Eweta se penche sur un dossier de fond et interviewe une personnalité au sujet du secteur des Entreprises de Travail Adapté. Ce mois-ci l’équipe de l’Eweta a interrogé Stéphane Emmanuelidis, Président de l’Eweta sur sa perception de l’histoire et de l’évolution du secteur.
En ta qualité de Président et « ancien » du secteur, quels sont, pour toi, les grands moments de bascule qu’a connu le secteur ?
La création de la CP 327 avec pour conséquence l’intégration des travailleurs dans l’ensemble des règles de droit du travail, en ce y compris le minimum garanti
L’adhésion de la fédération (à l’époque Ewap) aux organisations patronales intersectorielles CENM (aujourd’hui UNISOC) et UFENM (aujourd’hui UNIPSO)
La réforme de 1995 du ministre Willy Taminiaux adoptant le statut d’Entreprise de Travail Adapté plutôt qu’Atelier Protégé
La gestion par le secteur (partenaires sociaux et gouvernement) de la crise sanitaire et de ses impacts
Quelle est l’anecdote la plus drôle qui te soit arrivé durant un de ces moments de bascule (lors de négociations, …) ?
Assurément la première rencontre avec Willy Taminiaux ; remettons-nous dans le bain de l’époque, les entrevues avec nos ministres étaient assez protocolaires, le code vestimentaire y compris. Et voilà que le Ministre arrive pour une première rencontre. Il m’attrape la main et me lance « ça va, m’petit ? » C’était agréablement surprenant mais à y bien penser c’était loin d’être une anecdote. Le ton était donné et fondamentalement, Willy Taminiaux, dès ce moment, a initié un mode de concertation sincère et très poussé qui n’était pas la norme avant lui. Depuis lors, tous ses successeurs ont maintenu cet esprit qui permet, au fil des réformes, que chaque partie prenante s’y retrouve et y adhère. Ce que nous venons de faire durant la crise sanitaire et pour adapter le Cwass avec notre Ministre actuelle et avec les organisations syndicales en sont de parfaites illustrations.
Quelle a été la situation la plus compliquée à gérer lors d’un de ces moments charnière ?
Beaucoup de situations sont compliquées à gérer, ce qui n’est pas forcément un problème en soit. De ce fait, en toute franchise, je n’ai pas été marqué fortement ou négativement par une situation particulière. Au niveau de la complexité objective, c’est sans doute l’implantation du revenu minimum garanti qui aura été la plus complexe :
Les employeurs du secteur n’étaient pas à cette époque accoutumés à la confrontation avec les organisations syndicales, alors que la revendication du RMMMG était particulièrement mobilisatrice
De nombreux employeurs ne concevaient pas que tout le pouvoir d’achat de leurs travailleurs puisse être assumé et donc versé par l’employeur
La solution finalement trouvée a donc dû d’une part résorber ce frein symbolique et culturel et d’autre part solutionner le financement par une tuyauterie institutionnelle et réglementaire pour le moins inédite impliquant le gouvernement fédéral (l’accord final a d’ailleurs été conclu au 16 rue de La Loi), la Région wallonne, le fonds maribel du secteur
Tu as vu le secteur évoluer depuis pas mal de temps mais comment te projettes-tu dans l’avenir ? Où vois-tu les ETA dans 5 ans ?
5 ans est un terme relativement court ; je pense qu’il n’y aura pas d’évolutions spectaculaires si vite mais plutôt progressive et en continuité avec ce qui est observé en terme de stratégies et de gestion (sociale, économique et RH) dictée par les mutations générales du monde du travail et de l’entreprise :
Coopérations et regroupements entre ETA
Partenariats intégrés avec les entreprises clientes
Modernisation des infrastructures pour être mieux adaptées au bien-être des travailleurs
Intégration progressive des assouplissements des modalités de travail pour encore mieux mettre en cohérence vie professionnelle et vie privée
De manière plus générale, poursuite de l’évolution des principes et valeurs importés par les générations successives de dirigeants et cadres rejoignant le secteur
Autre chose est de se projeter dans le très long terme : quelle sera la place du travail dans l’intégration sociale, d’autres facteurs d’intégration ne vont-ils pas s’y substituer en partie ? Dans cette perspective, l’enjeu serait alors de ne pas laisser se creuser un nouvel écart entre le modèle général et celui du travail adapté…
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