Pour ses dossiers thématiques, l’Eweta interview toujours une ou plusieurs personnes en lien avec le dossier thématique. Cette fois, pour le dossier sur le droit des travailleurs, nous avons choisi d’interroger :
– Luca Baldan de la CSC : secrétaire permanent dans le secteur des ETA bruxelloises pendant 10 ans et dans le secteur au niveau wallon depuis presque 3 ans
– Arnaud Levêque de la FGTB qui a commencé il y a 16 ans dans le secteur : 11 ans comme secrétaire permanent de la FGTB de Namur en s’occupant entre autres du secteur des ETA namuroise et en siégeant dans la SCP du secteur et depuis 5 ans, secrétaire fédéral et porte-parole de la FGTB, notamment dans le secteur des ETA.
• Quelles sont, selon vous, les 3 plus grandes avancées des droits des travailleurs qu’a connu le secteur des ETA depuis sa création et pouvez-vous l’expliciter ?
1ère avancée : le passage entre Ateliers Protégés et Entreprises de Travail Adapté
A. L. : On fête cette année les 60 ans du secteur mais pas l’anniversaire des « Entreprises de Travail Adapté » vu qu’elles sont nées en 1995. En effet, avant on était dans le cadre d’Atelier Protégé où la philosophie et les modes de fonctionnement étaient intrinsèquement différents : on était sur des ateliers gérés de manière plutôt « paternaliste » avec un public beaucoup plus restrient et plus fortement en situation de handicap. Ce public était considéré comme étant à part du droit du travail (droit salarial, …). Même si l’objet social était déjà là, le changement de dénomination va faire que ces ateliers vont un peu plus « se normaliser » en devenant de véritables entreprises et surtout en ouvrant le droit du travail au travailleur du secteur. C’est dans ces années là que les travailleurs accèdent au salaire minimum garanti, ce qui est pour moi, la première grande avancée pour le secteur. Cette avancée, c’est vraiment le moment où en matière de rémunération, les travailleurs sont considérés comme des travailleurs à part entière, c’est-à-dire qu’on reconnait que l’effort qu’il fournissent est identique à celui des travailleurs des autres entreprises même si la rentabilité n’est pas forcément la même. C’est alors au pouvoir subsidiant de compenser la différence entre la productivité réelle et celle qui serait attendue dans une entreprise classique. Ce changement de paradigme entre ateliers protégés et entreprises de travail adapté a permis, en plus du RMMMG, d’ouvrir tout une autre série de droits (droit à la représentation syndicale, institutionnalisation de la concertation sociale en entreprise et dans le secteur, …).
L. B : Je rejoins Arnaud sur cette première grande étape de la constitution de la CP327 où les partenaires sociaux se rencontrent. C’est vraiment le moment où les travailleurs vont être reconnus comme des travailleurs ordinaires. Ce qui est important à avoir en tête, c’est que ces travailleurs pourraient très bien rester à la maison avec une allocation mais tous ont la volonté de travailler et d’avoir ce tissu social qui se construit autour d’un lieu de travail. Ils ont choisi de faire partie de cette société.
A : Après ça, le secteur s’est construit au fur et à mesure, s’est emparé des thématiques qui le traversait : on a évolué avec le monde des entreprises avec qui on est en connexion directe (de part notamment la place de sous-traitant que nous occupons). On a été traversé par des tensions, des contradictions, … mais nous avons su gérer ça de manière globalement intelligente au sein de la commission paritaire. Il restait cependant, chez les travailleurs, un sentiment général d’être moins bien considérés que d’autres dans d’autres secteurs d’activités où la concertation sociale était déjà plus ancienne et où les droits sociaux étaient déjà largement constitués. Cette lenteur pour avancer sur ces thématiques c’est aussi largement dû au fait que l’on est soumis à la bonne volonté du pouvoir subsidiant de desserrer ou pas les cordons de la bourse.
2ème avancée : l’Accord du Non-Marchand 2021-2024
A.L. : Donc il y avait encore un sentiment de rester un peu à la traine sur certaines thématiques et le deuxième grand moment en termes d’acquis sociaux c’est quand même plus de 30 ans plus tard avec l’Accord Non-Marchand que nous avons signé pour 2021-2024 et qui fait faire au secteur un bon en avant assez conséquent en termes de salaires (les travailleurs du secteur ne sont plus cantonnés au RMMMG), indemnités, primes, … mais aussi par rapport à d’autres éléments qualitatifs. L’ANM aura permis au secteur une certaine maturité en termes d’acquis sociaux. On a vraiment bénéficié d’un contexte « favorable » COVID qui a touché notre secteur comme tous les secteurs du Non-Marchand. Et donc, quand le gouvernement wallon a décidé de donner une enveloppe importante au secteur du Non-Marchand, on a trouvé légitime de donner leur juste part aux travailleurs du secteur : à la fois pour se remettre de la crise mais aussi pour avancer de manière sensée en ce qui concerne les conditions de travail.
L.B. : Effectivement, l’ANM était une grande avancée et a permis notamment d’améliorer la prime de fin d’année et de lier le nombre de jours de congés à l’âge, ce qui est très important pour l’allègement du temps de travail et l’harmonisation travail/vie privée.
3ème avancée : la sérénité du débat … pour avancer ensemble sur les droits des travailleurs
L.B. : Pour moi la troisième avancée, c’est tout ce que l’on va encore construire dans les prochaines années. Nous avons, au sein de la commission paritaire wallonne, une gestion pragmatique du secteur entre partenaires sociaux (l’Eweta, les syndicats, l’AViQ et le Cabinet). Nous sommes d’ailleurs en train de travailler sur des dossiers comme la formation, … La communication est là, on n’est pas toujours d’accord bien entendu mais le dialogue est serein. C’est aussi une grande avancée pour le secteur ou du moins un élément saillant pour continuer à œuvrer pour les droits des travailleurs. On a une vision commune pour le futur des ETA et la dynamique est bonne.
A.L. : Je suis sur la même longueur d’onde : on est maintenant dans une configuration où on arrive à aller de l’avant au sein du secteur avec une concertation constructive. On travaille et on construit aujourd’hui des aspects plutôt qualitatifs : Fonds de formation, postes d’ergonomes itinérant, grille barémique pour les travailleurs de production, … et c’est ça la troisième avancée. Cette construction est pensée pour que l’objet social des ETA puisse mieux se réaliser. Et alors, il y a tout ce que l’on fera demain. On a déjà réalisé de grandes choses, nos prédécesseurs ont déjà beaucoup fait mais nous avons encore du travail pour que les conditions de travail soient les plus propices et les plus adaptées possible aux travailleurs. On sait qu’on a l’endroit pour pouvoir en discuter et les interlocuteurs pour construire des choses intelligentes dans le secteur malgré un contexte socio-économique et règlementaire compliqué.
• Quelle vision générale portez-vous sur l’évolution de l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap ?
L.B. : Ces dernières années, il y a eu beaucoup de sensibilisation sur cette thématique notamment sur l’accessibilité des lieux de travail. Il y a encore beaucoup à faire dans le monde « classique ». Les employeurs commencent à prendre conscience qu’il y a aussi des avantages à l’embauche pour les personnes en situation de handicap aussi bien de manière budgétaire que philosophiquement car cela ramène parfois d’autres compétences dans l’entreprise. Des formations se mettent également en place pour que les employeurs puissent comprendre les besoins des personnes en situation de handicap en matière d’accompagnement, … Pour moi il reste beaucoup de défis sur cette thématique : lutter contre les préjugés, les barrières sociales et culturelles, augmenter la sensibilisation sur le handicap, … Il est essentiel de promouvoir encore l’inclusion.
A.L. : Je partage l’avis de Luca, la question de l’inclusion des personnes en situation de handicap dépasse largement le secteur des ETA. Le secteur doit exister. Il faut pouvoir offrir un lieu de travail structurellement adapté aux personnes en situation de handicap qui offre des perspectives d’intégration au sein de la société avec un niveau de droits sociaux égal à tout à chacun. Mais il ne faut pas que les ETA servent de compensation à une politique générale qui n’est pas souvent inclusive dans le milieu du travail classique. Il y a encore beaucoup de discrimination à l’embauche de personnes en situation de handicap à cause de préjugés injustifiés et beaucoup d’entreprise ne veulent pas prendre leur responsabilité dans l’inclusion de la société. On attend donc des pouvoirs publics à la fois une série d’initiatives pour arrêter cette discrimination structurelle des personnes en situation de handicap dans le milieu classique (en premier lieu dans les administrations publiques). Il faut que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités sinon on aura un secteur des ETA qui sera un réceptacle de toutes les personnes qui seront déclassées du secteur classique alors que les entreprises classiques ont aussi leur responsabilité dans l’inclusion dans le monde du travail.
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